Le Projet
Laissons Dod présenter lui-même la trilogie 2006 par cette réflexion issue de ses tentatives précédentes :
« La montagne restera toujours le chef d’orchestre. » Une vie d’alpiniste n’est décidément pas un long fleuve tranquille… Et quelques réflexions me sont venues de cette parenthèse momentanée sur la montagne. Certes certains pourraient parler d’échecs, je préfère les mots « enrichissement humain », « épanouissement ». Cette vision neuve et personnelle de l ’alpinisme aura finalement mis le doigt sur « qu’est-ce que l’on va chercher là-haut, si tant est qu’il y a quelque chose à trouver, là-haut. » Toutes mes expéditions ont eu ce dénominateur commun : une transformation. Une transformation de mon être et l’apparition d’une joie. Mais attention, pas n’importe laquelle, pas de ces plaisirs éphémères engendrés par une recherche de sensations extrêmes, et qui laissent en bouche un arrière-goût d’insatisfaction. Non, bien au contraire: un bonheur plein, qui rebondit et éclabousse ces instants de vie que l’on nomme quotidien.
Trilogie : Il s’agit d’une première originale : un voyage sans liaisons mécaniques, durant l’ hiver 2005-2006, au cours duquel Dod tentera en solitaire, pour la troisième fois, l’ascension des trois faces nord mythiques des Alpes, Eiger – Cervin – Grandes Jorasses, par des directissimes.
Dod sera épaulé dans cette aventure authentique par une équipe de professionnels de la montagne afin de se concentrer au maximum sur les faces. Au contraire des ascensions où il sera seul et sans radio, des amis le rejoindront dans les liaisons qui seront effectuées à ski ou à vélo.
Dans une constante recherche de difficulté, les ascensions seront envisagées selon la définition de « l’ultime » donnée par Walter Bonatti : « seul, directe, hivernale ».
Solo : Seul dans les ascensions afin d’être en osmose avec les parois.
Directe : Par les voies les plus élégantes et les plus difficiles « les directissimes » ; littéralement, celles qui suivent la trajectoire d’une goutte d’eau qui tombe du sommet.
Hivernale :Le départ de l’expédition est fixé en décembre. Paradoxalement, c’est aussi le moment où la paroi présente le moins de risques objectifs ( foudre, chutes de pierres…).
Programme envisagé :
Départ de Grindelwald (Suisse) à skis jusqu’au pied de l’Eiger.
Directissime Piola – Ghilini 1983 (ABO, jamais faite en solo, ni en hiver). Descente en rappel dans la face.
Ski et vélo jusqu’au pied de la face Nord du Cervin.
Directissime Gabarrou du Nez de Zmutt « aux amis disparus « (intégrale non réalisée). Descente en rappel dans la face.
Ski jusqu’au pied de la face Nord des Grandes Jorasses.
Directissime de la pointe Walker : voie Desmaison (jamais faite en solo). Descente en rappel dans la face.
OUF ! Arrivée à Chamonix : la fête !
Lionel Daudet reliera avec des amis ces faces à ski par des hautes routes, et même à vélo pour la traversée de la vallée du Rhône – un clin d’œil sympa aux premiers ascensionnistes de la face nord du Cervin « les frères Schmid » qui firent l’aller et retour depuis Munich en 1931.
Durée estimée 2 à 3 mois.
Comme dans toute aventure, cela ne reste « qu ’un programme », qui peut être amené à se modifier, notamment par rapport aux conditions et à la météo.
Redonnons la parole à Dod pour connaitre la genèse de cette trilogie :
Dans ma tête enfiévrée, une question bourdonne depuis des années : « quel projet bâtir, dans des Alpes où, selon certains esprits chagrins, tout a été fait?». Peu de nouvelles voies restent à explorer. Suivant sa logique, l’alpinisme s’est tourné vers les hivernales, les solos en été puis en hiver, dans des voies de plus en plus difficiles. Peut-on encore réaliser des premières ? Quel sera l’alpinisme des années futures ? Chacun apporte « sa » réponse » à la question. La recherche de la difficulté maximale sera plus que jamais d’actualité. L’alpinisme de pointe, après être longtemps resté dans une phase de conquête, se tournera vers la créativité personnelle, vers cet imaginaire grâce auquel chacun livrera ce qu’il a de plus beau en lui, au travers d’un projet novateur et audacieux. Le projet sera bâti sur les fondations d’un alpinisme classique, mais rajoutera une dimension artistique, voire spirituelle.
L’histoire de l’alpinisme a toujours gravité autour des trois faces Nord mythiques de l’arc alpin : Grandes Jorasses, Cervin, Eiger. Ne les avaient-on pas qualifiées de « derniers problèmes des Alpes » ? Elles furent gravies dans les années 30, puis vinrent les répétitions, d’abord timides, puis plus nombreuses. Dans les années 60, les solitaires, les hivernales et les directes, les directissimes. Au cours des années 80, Christophe Profit fait preuve d’originalité en enchaînant les trois faces par les voies classiques le plus rapidement possible et en s’autorisant tous moyens pour effectuer les liaisons entre les faces. Il réalise cette performance d’abord en été, puis en hiver. Le côté sportif de l’alpinisme est poussé à l’extrême. En 2000, ces trois faces déjà chargées d’un lourd passé restent toujours présentes à l’esprit des alpinistes contemporains.
Alors, quelle réalisation pourrais-je envisager ?
Faisant ses adieux au grand alpinisme, Walter Bonatti a légué durant l’hiver 65 une nouvelle voie directe dans la face Nord du Cervin. En 2002, nombreuses sont les voies qui jalonnent la face Nord. Ouvrir pour ouvrir ne m’intéresse pas. Par contre, j’aimerais reprendre « l’équation de Bonatti » : ultime égal seul, direct, hiver. Et la faire varier avec quelques nouveaux facteurs : trois voies plutôt qu’une, directissimes plutôt que directes et un beau voyage au cœur des Alpes pour relier ces parois. L’équation de l’alpinisme est toujours aussi simple, mais elle est formulée différemment : ce n’est plus une ouverture sur une face Nord en solo hivernal, mais bien le cumul de trois directissimes en solo hivernal sur les trois faces Nord majeures des Alpes reliées sans moyens mécaniques, en restant au maximum en haute montagne. Il n’y a en même temps pas grand chose de fondamentalement nouveau : il s’agit toujours de donner le meilleur de soi-même. Gratuitement.
Extrait de la montagne intérieure, Lionel Daudet, Grasset 2004 .
Note : Toutes les informations contenues dans ces pages consacrées à la trilogie des Directissimes de Lionel Daudet ont été actualisées en 2006, sans mises à jour ultérieures.